L’exercice de consultation initié par l’Information and Communication Technologies Authority (ICTA), régulateur opérant sous l’égide du ministère des Technologies de l’information, de la Communication et de l’Innovation, est salutaire à plus d’un titre.
Cette contribution au débat public s’attarde sur une proposition simple : Il y a un danger bien plus grand pour notre société que les dérapages sur internet. Cette menace naît de l’amalgame des rôles et des responsabilités de différentes institutions. Et, par conséquent, de la profonde rupture entre ces mêmes institutions et ceux qu’elles sont censées protéger.
On ne devrait pas douter de la volonté de l’ICTA de s’attaquer à un vrai problème de société : Le foisonnement des propos haineux sur internet et les réseaux sociaux. Que ceux-ci soient du fait de lâches qui se cachent derrière l’anonymat d’un pseudonyme pour déverser leur bile sur les réseaux sociaux, ou pas.
On ne devrait pas, et pourtant …
La facilité avec laquelle le Mauricien déduit les souhaits pour ne pas dire les inavouables motivations – du gouvernement en se basant uniquement sur les propositions d’un régulateur, dit indépendant, est symptomatique de maux profonds, encore plus vicieux que cette maudite Covid-19.
Quelles que soient les intentions des dirigeants du moment, ce dont la classe politique dans son ensemble est collectivement coupable, c’est d’avoir permis voire accéléré la dévalorisation de nos institutions ; jusqu’à ce qu’on finisse par les confondre avec l’exécutif. Ce faisant, c’est le socle même de l’Etat de droit qui s’en trouve fragilisé.
La nécessité de régulariser l’utilisation des réseaux sociaux est une évidence. Il est tout aussi incontestable que l’ICTA a pour vocation d’« advise and assist in the formulation of national policies with respect to the regulation of the information and communication industry »1.
Comment toutefois s’expliquer que le régulateur, crée pour « provide for the regulation and democratisation of information and communication technologies and related matters »2, conçoive qu’en 2021, la censure puisse être une solution à Maurice.
Il est encore plus incompréhensible que ce régulateur aille jusqu’à suggérer que cette censure soit appliquée par une nouvelle autorité, à être constituée et administrée aux frais du contribuable ; cela, sans aucune supervision du judicaire.
L’ironie réside aussi ici dans les attributions de ce régulateur dont la mission est, avant tout, d’« encourage the optimum use of information and communication technologies in business, industry and the country at large, the introduction of new technology and the investment in infrastructure and services » mais également de « promote the efficiency and international competitiveness of Mauritius in the information and communication sector »3
L’ICTA peut encore revoir sa copie en s’inspirant des erreurs commises ailleurs, par d’autres. Après tout, le mal qu’il a à combattre est planétaire, tapis au sein du World Wide Web. Il y a, par exemple, certainement des leçons à tirer de la débâcle du législateur français devant le Conseil Constitutionnel en 2020. La majorité des dispositions de la proposition de loi visant à lutter contre la haine ont été remises en question, car considérées comme représentant un trop grand danger pour la liberté d’expression. Il est également important de noter que certaines dispositions, dont celles concernant la création d’un parquet spécialisé et d’un observatoire de la haine en ligne, ont trouvé grâce aux yeux des sages de la plus haute Cour de justice de France.
Dans ce contexte, la mise en garde de l’ancienne ministre française de la Culture et de la Communication est autant utile que pertinente. Catherine Trautmann prévenait : « Le sommet mondial sur la société de l'information a placé les droits fondamentaux de la personne humaine comme socle de la société de l'information. Or, nous ne sommes pas tous égaux face à la liberté d'expression sur Internet, et certains États ont entrepris de censurer l'expression de citoyens, de journalistes et d'autres».
En écho, nous ne pouvons que conclure qu’il a un prix à payer pour la liberté d’expression et que rien ne justifie qu’on remette en question la liberté de penser.
La priorité de l’ICTA, au sujet de l’utilisation de l’internet et des réseaux sociaux, devrait être de se soucier davantage de la mobilisation des ressources nécessaires pour s’assurer de l’application des lois existantes. A ce stade, il n’y a d’ailleurs aucune nécessité de renforcer ces lois afin d’identifier et punir les délits liés à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication.
L’année dernière, les services de notre cabinet d’avocats ont été retenus par cinq plaignants suite à la publication de contenus malveillants sur la plateforme TikTok. Lors de cet épisode, la Cybercrime Unit nous a démontré l’étendue de son impuissance. Elle n’est même pas parvenue à entrer en contact avec l’administrateur de l’application afin de faire enlever ces contenus malveillants ! La censure ne changera rien à cette problématique-là.
La consultation ne sera positive que si l’Etat de droit reprend sa préséance. Pour inciter le Mauricien à être plus responsable dans sa prise de parole, il faut des institutions crédibles qui l’incitent à élever sa réflexion et ses mots et non sa voix.
La priorité pour l’ICTA est d’établir son indépendance et gagner la confiance des Mauriciens. Il faut non seulement des actes mais surtout de la cohérence et de la transparence dans son action.
Pour le pays, la priorité des priorités devrait être de formuler un plan Marshall pour revaloriser les institutions dans leur ensemble, repenser le mode de nomination en leur sein et reconstruire la confiance du Mauricien en ses garde-fous.
On appelle de tous nos vœux un Grenelle de la démocratie à la mauricienne et souhaitons que les politiques aient la sagesse de laisser les juristes mener ce débat. Nous imaginons un panel constitué d’anciens juges, de juristes, d’ici et d’ailleurs. Nous pensons à ces QC et autres Law lords britanniques qui ont si souvent décortiqué notre Constitution devant le Conseil Privé ; à ces sommités françaises qui nous ont maintes fois démontré leur attachement à notre pays et, surtout, à ces féroces défenseurs des grands principes démocratiques à qui on doit les jugements magnifiques de la Cour Suprême indienne. Nous pouvons, et devons, aussi savoir nous inspirer des nouvelles démocraties que sont le Canada, l’Australie et la Nouvelle Zélande.
Et si on osait exposer notre démocratie au regard des autres pour mieux la réinventer et rendre à notre république son attractivité d’antan aux yeux des touristes et investisseurs avertis? Qui peut rêver d’une consultation plus salutaire ?